L’article 47-1 de la Constitution
La question se pose de savoir si le gouvernement peut avoir recours à l’article 47-1 de la Constitution pour faire adopter la réforme des retraites, en l’intégrant dans un projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale ?
La loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale détermine ce que doivent contenir ces lois, qu’il s’agisse de celles de l’année ou de lois rectificatives. Des dispositions qui ne relèvent pas du domaine prévu par la loi organique constituent des«cavaliers» et sont annulées par le Conseil constitutionnel, lorsqu’il est saisi.
Si une réforme des retraites n’a encore jamais été adoptée par une loi de financement de la sécurité sociale et qu’on ne peut pas prédire quelle serait la position du Conseil, on peut signaler que, chaque année depuis 2018, le Sénat adopte un amendement lorsqu’il examine le projet de l’année, destiné à reporter l’âge légal de départ à la retraite. Cet amendement est ensuite supprimé lors du réexamen du texte par l’Assemblée nationale, mais ce ne serait donc pas la première fois qu’une loi de financement de la sécurité sociale comporte, au moins temporairement, des dispositions réformant le mécanisme des retraites.
En revanche, la procédure qui est actuellement engagée ne concerne pas un projet de loi de financement de la sécurité sociale de l’année, mais bien un projet de loi rectificative. Son objet est de rectifier, en cours d’exercice budgétaire, ce qui a pu être voté dans la précédente loi de l’année. Ainsi, une interrogation existe quant à savoir si l’article 47-1 de la Constitution et, en particulier, lesdélais ne s’appliquent qu’aux lois de l’année ou, également, aux lois rectificatives.
Les deux interprétations peuvent être envisagées et seul le Conseil constitutionnel pourra apporter une réponse définitive. S’il a déjà pu le faire quant aux lois de finances, il ne l’a encore jamais fait quant aux lois de financement de la sécurité sociale. Surtout, sa décision n°86-209 DC du 3 juillet 1986, par laquelle il considère en effet que le même régime s’applique aux lois de finances de l’année et aux lois de finances rectificatives, a été rendue sous l’égide de l’ordonnance de 1959, différente de la LOLF de 2001 et, surtout, de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale.
D’une part, on peut constater un état de fait : toutes les lois de financement rectificatives de la sécurité sociale ont été adoptées conformément aux délais de l’article 47-1. Mais ce simple état de fait ne suffit pas à déduire que ces délais s’imposent : ce peut être soit une coïncidence, soit, tout simplement, un choix du Gouvernement et du Parlement de respecter ces délais sans pour autant y être contraints.
D’autre part, l’article 47-1 mentionne expressément « les projets loi de financement de la sécurité sociale »et renvoie à la loi organique, laquelle précise que la loi de financement de la sécurité sociale de l’année et la loi de financement rectificative de la sécurité sociale « ont caractère de loi de financement de la sécurité sociale »(art. LO 111-3 du code de la sécurité sociale). De surcroît, l’article LO 111-7 du même code, inscrit dans la section intitulée « Examen et vote des lois de financement », dispose que « l’Assemblée nationale doit se prononcer, en première lecture, dans le délai de vingt jours après le dépôt d’un projet de loi de financement de la sécurité sociale ». On pourrait donc déduire de la lecture conjointe de ces trois dispositions (47-1, LO 111-3 et LO 111-7) que l’ensemble de la catégorie générique des lois de financement de la sécurité sociale, incluant les lois de l’année et leslois rectificatives, sont concernées par les délais.
Néanmoins, une interprétation restrictive est également possible. D’abord, on peut considérer que tant l’article 47-1 de la Constitution que l’article LO 111-7 du code de la sécurité sociale ne mentionnant que « les projets loi de financement de la sécurité sociale », les « projets loi de financement rectificative de la sécurité sociale »ne seraient pas concernés. Ensuite, cette interprétation restrictive serait également conforme à une interprétation téléologique des dispositions de ces articles. En effet, les délais sont destinés à permettre que la loi de financement de la sécurité sociale (de l’année) soit adoptée avant le 31 décembre, car elle est indispensable pour lever les recettes et affecter les crédits. Mais une telle exigence ne vaut pas pour une loi rectificative, pour laquelle la date du 31 décembre n’a pas de conséquence. On pourrait donc considérer que ces délais ne s’appliquent pas à cette dernière catégorie.
L’intégration de la réforme des retraites dans un projet de loi rectificative de financement de la sécurité sociale permettrait au gouvernement d’avoir recours à l’article 47-1 de la Constitution et permet de contraindre les discussions devant les assemblées dans des délais extrêmement courts.
Ainsi, trois délais sont prévus :
-Le temps de la discussion à l’Assemblée nationale, en première lecture, ne peut excéder vingt jours ;
-Ce même temps de discussion au Sénat, ne peut excéder quinze jours ;
-Le temps global, depuis le dépôt du texte jusqu’à son adoption définitive, ne peut excéder cinquante jours.
En cas de dépassement des deux premiers délais, le Gouvernement doit poursuivre la procédure, sans attendre le vote sur le texte. Si l’Assemblée nationale ne l’a pas adopté au bout de vingt jours, le texte est transmis au Sénat et si ce dernier ne l’a pas adopté au bout de quinze jours, une commission mixte paritaire est convoquée (sur le fondement de l’article 45 de la Constitution).
En cas de dépassement du troisième délai, le Gouvernement peut mettre en œuvre les dispositions du projet de loi par ordonnance.
Une ordonnance ayant un caractère réglementaire, un recours devant le Conseil d’Etat ou le Conseil Constitutionnel pourra éventuellement être exercé. De plus, une telle réforme par ordonnance serait perçue comme illégitime.
L’article 49 de la Constitution
L’article 49 de la constitution concerne la responsabilité du gouvernement devant le parlement.
L’article 49, alinéa 2 autorise qu’un dixième des députés peut déposer une motion de censure contre le gouvernement. Cette motion doit être votée sous 48h.
L’article 49, alinéa 3 autorise le gouvernent a engagé sa responsabilité sur un texte législatif devant l’Assemblée nationale, sans vote, sauf si une motion de censure est déposée pendant les 24h suivant son déclenchement. Cette procédure est considérée comme un passage en force car il oblige à faire voter les députés sur le gouvernement et non sur le projet ou proposition de loi en question.
Dans le cadre de l’intégration de la réforme des retraites au projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), le Gouvernement peut-il, une fois de plus, avoir recours à l’article 49.3 de la Constitution ?
L’article 49, alinéa 3 de la Constitution, dans sa version issue de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, ne peut être invoqué que sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Il peut également être invoqué pour « un autre projet ou une proposition de loi par session ».
Depuis cette révision, il n’a jamais été mobilisé sur une loi rectificative (de finances ou de financement de la sécurité sociale). Par conséquent, là non plus, la solution n’est pas tranchée avec certitude. S’il semblerait qu’à l’égard de cet article, le législateur constitutionnel ait entendu inclure tant les lois de l’année que les lois rectificatives, une interprétation restrictive des dispositions de l’article 47-1 de la Constitution (cf. supra) pourrait engendrer une interprétation tout aussi restrictive de cet article 49, al. 3. Ce n’est qu’une hypothèse, dont la probabilité reste faible, surtout après la décision rendue le 29 décembre dernier, sur la loi de finances pour 2023, où le Conseil retient que « la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 n’a pas modifié les conditions dans lesquelles la responsabilité du Gouvernement peut être engagée sur le vote d’une loi de finances ou d’une loi de financement de la sécurité sociale » (2022-847 DC).
Malgré tout, le Gouvernement n’y ayant pas encore eu recours sur un autre texte, son invocation est possible (tant que ce n’est pas le cas). Il restera alors à déterminer –et seul le Conseil constitutionnel pourra le faire–si elle s’insère dans le cadre d’un projet de loi de financement de la sécurité sociale ou dans celui de l’autre texte, empêchant dès lors d’y recourir à nouveau avant la fin de la session.
La motion de censure déposé le 15 février 2023 par le groupe Rassemblement Nationale s’inscrit dans le 49.2 ce qui veut dire que le projet de loi rectificatif du financement de la Sécurité Sociale ira au Sénat, indépendamment du résultat duvote sur la motion de censure.