Ce mardi 10 janvier 2023, la Première ministre Elisabeth Borne a annoncé le plan du Gouvernement en matière de réforme des retraites, à l’issue d’une période de « concertation » avec les interlocuteurs sociaux lancée à la rentrée de septembre et à laquelle Force Ouvrière avait participé.
Sans surprise, cette réforme met à mal notre système de solidarité nationale en décalant l’âge légal de départ en retraite à 64 ans et en accélérant la réforme Touraine et donc l’allongement de la durée de cotisation.
Force Ouvrière a exprimé sa vive opposition à cette réforme. Les organisations syndicales, historiquement unies contre ce projet, ont annoncé une première journée de grève interprofessionnelle et de mobilisation jeudi 19 janvier.
Un avant-projet de loi est actuellement en cours d’examen par le Conseil d’Etat. Le texte sera ensuite présenté en Conseil des ministres le 23 janvier avant d’être débattu au Parlement en février/mars.
Les principales mesures annoncées
C’est au cours d’une conférence de presse que le Gouvernement a fait connaitre ses arbitrages en matière de réforme de notre système de retraite après la concertation avec les interlocuteurs sociaux.
Voici les principaux changements annoncés ce mardi :
Concernant le recul de l’âge de départ :
• L’âge légal à partir duquel il est possible de partir à la retraite sera progressivement relevé à compter du 1er septembre 2023, à raison de 3 mois par année de naissance. Il sera ainsi fixé à 63 ans et 3 mois en 2027 à la fin du quinquennat, puis atteindra la cible de 64 ans en 2030.
• Pour bénéficier de sa retraite à taux plein, il faudra, dès 2027, avoir travaillé 43 ans, durée de cotisation adoptée dans le cadre de la loi Touraine de 2014.
• Comme aujourd’hui, les personnes partant à la retraite à 67 ans bénéficieront toujours automatiquement d’une retraite à taux plein, c’est-à-dire sans décote, même si elles n’ont pas travaillé 43 ans.
Concernant les carrières longues et difficiles :
• Le dispositif de carrières longues sera adapté pour qu’aucune personne ayant commencé à travailler tôt ne soit obligée de travailler plus de 44 ans. Ceux qui ont commencé avant 16 ans pourront partir dès 58 ans ; entre 16 et 18 ans à partir 60 ans ; entre 18 et 20 ans à partir de 62 ans.
• Comme aujourd’hui, les personnes en situation d’invalidité ou d’inaptitude pourront partir à 62 ans à taux plein, les travailleurs handicapés à compter de 55 ans.
• Les salariés ayant subi un accident du travail ou une maladie professionnelle pourront sous
partir à la retraite 2 ans avant l’âge légal. Les conditions pour accéder à ce départ anticipé seront assouplies.
Concernant la prévention et la pénibilité au travail :
• Davantage de salariés pourront bénéficier du compte professionnel de prévention avec plus de droits (en cas de travail de nuit ou quand les salariés sont exposés à plusieurs risques professionnels par exemple). Chaque année, ce sont plus de 60 000 personnes supplémentaires qui seront couvertes par le compte professionnel de prévention.
• Une nouvelle utilisation du compte professionnel de prévention sera créée avec la possibilité de financer un congé de reconversion permettant de changer de métier plus facilement.
• Un fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle doté d’1 Md€ sur le quinquennat sera instauré. Il soutiendra les branches professionnelles pour identifier les métiers exposés aux risques ergonomiques (port de charges lourdes, postures pénibles, vibrations), et financer avec les employeurs des actions de prévention et de reconversion.
• Un suivi médical renforcé sera mis en place auprès des salariés exerçant des métiers identifiés comme exposés à la pénibilité, afin de mener des actions de prévention et mieux détecter les situations d’inaptitude permettant un départ anticipé à 62 ans.
Concernant les régimes spéciaux :
• La réforme acte l’extinction des principaux régimes spéciaux de retraite. Les nouveaux embauchés à la RATP, dans la branche industries électriques et gazières (EDF, etc.), à la Banque de France, les clercs de notaires et les membres du CESE seront affiliés au régime général pour la retraite.
Concernant la fonction publique :
• La retraite progressive sera étendue afin d’accompagner les effets de la réforme et permettre un aménagement de fin de carrière dès 62 ans.
Les fonctionnaires en catégories actives et les militaires conserveront un droit à partir plus tôt compte tenu de leurs sujétions particulières de service public et d’exposition aux risques.
• La durée de service et l’âge d’annulation de la décote seront inchangés.
• Un fonds de prévention de l’usure professionnelle sera créé auprès de l’assurance maladie pour accompagner les établissements hospitaliers et médico-sociaux.
Pour les travailleurs indépendants :
• Le Gouvernement « s’engage » d’ici le PLFSS 2024 les travaux techniques et de concertation pour réformer l’assiette sociale des indépendants, afin que son calcul soit simplifié et que les droits à la retraite des indépendants soient renforcés, notamment pour les plus modestes d’entre eux.
Concernant les minimums de pensions et les évènements de la vie familiale :
• Le minimum de pension augmentera de 100 € par mois pour une carrière complète. Un salarié au SMIC toute sa carrière aura une pension de 85 % du SMIC net.
• Les périodes de congé parental seront prises en compte pour partir avec le dispositif de carrières longues ainsi que dans le calcul du minimum de pension de ceux qui ont travaillé plus de 30 ans.
• Les aidants familiaux, qui sont contraints de réduire leur activité pour s’occuper d’un proche parent ou d’un enfant, bénéficieront de validations de trimestres.
• La réforme donnera des trimestres de retraite aux personnes ayant effectué des stages de travaux d’utilité collective (TUC).
Concernant l’emploi des séniors :
• Un « index seniors » sera créé pour faire la transparence dans les entreprises et pour replacer la gestion des âges au cœur du dialogue social.
• Pour aménager son temps de travail tout au long de la carrière, une négociation sera ouverte pour mettre en place un compte épargne-temps universel (CETU).
• La retraite progressive, qui permet de liquider avant l’âge légal une partie de sa pension pour passer à temps partiel, sera assouplie et élargie à la fonction publique. Les retraités qui reprennent une activité pourront acquérir des droits et augmenter leur pension.
Comment connaitre les effets de cette réforme sur notre retraite ?
Vous trouverez en annexe 1 deux tableaux récapitulatif fournis par le Gouvernement : sur le calendrier du recul de l’âge de départ, et sur l’impact financier des différentes mesures proposées.
Il s’agit pour l’instant uniquement « d’annonces » et il faut maintenant attendre le texte du projet de loi afin de vérifier si la réforme proposée est conforme aux éléments communiqués hier.
La CNAV a également mis en ligne un outil de simulation afin de répondre aux interrogations des assurés : https://la-reforme-des-retraites-et-moi.fr/.Il permet d’évaluer les impacts du projet sur les
situations personnelles des assurés.
Cette circulaire comporte également en annexe 6 une comparaison des âges de départ à la retraite dans différents pays européens, présentée par le COR en janvier 2022.
Positions de Force Ouvrière
Force Ouvrière rappelle sa ferme opposition à la réforme des retraites qui repousse à nouveau l’âge de départ des travailleurs.
D’après le dernier rapport du COR, il n’y a pas de dynamique incontrôlée des dépenses de retraite. De plus, le déficit annoncé ces 10-15 prochaines années est extrêmement limité par rapport au budget global du régime, alors même que les prévisions annoncent un retour à l’équilibre sans besoin de réforme. Notre régime de retraite n’est donc pas en danger. L’argument financier avancé par le gouvernement est surtout un prétexte pour réduire encore les dépenses publiques. Cette réforme n’est ni nécessaire financièrement, ni pensée dans l’intérêt du régime.
Le gouvernement en appelle à la « responsabilité » et à la « solidarité » pour l’équilibre de notre système par répartition. Cette réforme est pourtant injuste et inégalitaire. Le report de l’âge de départ frappe tout particulièrement les plus modestes, celles et ceux qui ont commencé à travailler tôt, les plus précaires, dont l’espérance de vie est inférieure au reste de la population, et celles et ceux dont la pénibilité des métiers n’est pas reconnue.
De plus, les inégalités de carrière entre les femmes et les hommes, notamment les temps partiels imposés, n’ont pas été prises en compte dans le texte, malgré les demandes de FO. Les femmes seront particulièrement impactées par cette réforme, Leur pension moyenne est inférieure de près de 40% à celle des hommes. Cet écart résulte des inégalités au travail : salaires, carrières interrompues pour congés parentaux, temps partiels, emplois précaires, etc. Et les inégalités observées pendant la vie active se prolongent dans leur retraite !
Le report de l’âge touche aussi tout particulièrement les seniors qui ont des difficultés pour être maintenus en emploi et qu’actuellement, de nombreux travailleurs séniors sont au chômage, aux minimas sociaux, ou bien en invalidité à l’approche de la retraite, le recul de l’âge de départ aura des effets économiques importants sur les branches chômage et maladie, en plus de prolonger la précarité pour de nombreux travailleurs.
Lors des concertations menées à l’automne, non seulement Force Ouvrière avait exprimé son opposition à tout recul de l’âge légal de départ en retraite ou d’allongement de la cotisation, mais FO avait également fait connaître ses propositions en matière d’emploi des séniors ou d’augmentation des recettes du régime. Le Gouvernement n’a jamais fait de retour sur les différents documents présentés. La concertation s’est donc faite sans réel débat, ni réelle prise en compte des demandes des interlocuteurs.
La retraite étant le reflet de la carrière, la priorité est pour FO d’assurer des carrières complètes pour chacun. Lutter contre les inégalités au travail, améliorer les conditions de travail, lutter contre le faible taux d’emploi des séniors permettrait d’améliorer le niveau des pensions tout en augmentant les recettes du régime. Force Ouvrière revendique la mise en place d’une réelle politique de l’emploi, sociale et juste. FO avait fait de nombreuses propositions en ce sens, dont les principales étaient les suivantes :
- Renforcer le maintien dans l’emploi des travailleurs séniors : Favoriser l’embauche des séniors, aménager les fins de carrière, sanctionner le licenciement des seniors.
- Renforcer la formation professionnelle et également la transmission professionnelle,notamment intergénérationnelle (par exemple avec un contrat de génération).
- Conditionnement des aides aux entreprises à des résultats efficients en matière d’emploi des séniors.
- Encourager la négociation collective, à la fois pour l’emploi des séniors mais également pour les questions d’égalité au travail.
- Prendre en compte la question de la pénibilité avant la fin de carrière, en réintégrant les 4 critères d’expositions supprimés, en ajoutant un critère sur l’exposition aux risques psychosociaux, et en prenant réellement en compte la poly-exposition. Il est également possible d’instaurer un financement incitatif à la mise en place d’une politique de prévention, et de permettre un départ anticipé à la retraite.
- Lutter contre les inégalités femmes/hommes au travail : une réelle égalité salariale pour les femmes permettrait d’augmenter les cotisations et donc les recettes du régime. Il faut également lutter contre les temps partiels imposés, notamment en instaurant pour l’employeur une obligation de cotiser sur un temps plein. FO soutient l’allongement du congé paternité et maintient la revendication d’un congé parental obligatoire et indemnisé à 100%, ainsi que la création d’un service public petite enfance.
- Renforcement des petites pensions et minima sociaux et/ou élargissement des critères d’éligibilité (ASPA, pensions de réversion).
Le détail de ces propositions figure en annexe : la note sur l’emploi des séniors réalisée en octobre qui accompagnait une précédente circulaire (circulaire confédérale n°174-2023 du 19/10/2022), et les propositions élaborées dans le cadre du cycle équité et justice sociale.
Si certaines revendications semblent avoir été entendues, par exemple pour la prise en compte des TUC, il faut toutefois attendre le texte final pour s’assurer de la bonne traduction de cet engagement. FO dénonce également les « effets d’annonces » comme c’est le cas pour la revalorisation des petites pensions qui ne concernera que les carrières dites complètes et donc un nombre restreint de futurs retraités.
La suppression annoncée des régimes spéciaux, correspond à une volonté de niveler par le bas les droits sociaux et gommer les spécificités de nombreuses professions. Force Ouvrière demande le maintien de tous les régimes de retraite et de leurs spécificités !
FO avait également expliqué son refus de la création d’un index sénior, qui n’est pas une mesure efficace et suffisamment contraignante pour les employeurs.
FO reste également opposée au dispositif de cumul emploi-retraite : c’est parce que les pensions de retraite ne sont pas suffisantes pour vivre que des retraités reprennent un emploi ! Ce dispositif ne saurait constituer une solution pérenne pour les retraités et futurs retraités.
Appel à une mobilisation massive
Pour toutes les raisons évoquées précédemment, Force ouvrière s’oppose à ce projet de réforme qu’elle considère injuste et infondé, et qui conduirait, s’il était adopté, à une dégradation des droits des salariés et un allongement sans précédent de la durée d’activité.
Pour la première fois depuis douze ans, FO avec l’ensemble des organisations syndicales appelle à construire une réponse commune de mobilisation interprofessionnelle, prenant la forme de grèves et manifestations à partir du jeudi 19 janvier, donnant le départ d’une puissante mobilisation visant à empêcher tout recul de l’âge légal de départ à la retraite.