L’article 4 de la loi n°2022-1598 du 21 décembre 2022 relative au fonctionnement du marché du travail a inséré un nouvel article L 1237-1-1 instituant un « non-sens juridique » : la présomption de démission pour abandon de poste :
« Le salarié qui a abandonné volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure de justifier son absence et de reprendre son poste, par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge, dans le délai fixé par l’employeur, est présumé avoir démissionné à l’expiration de ce délai.
. »
Le salarié qui conteste la rupture de son contrat de travail sur le fondement de cette présomption peut saisir le conseil de prud’hommes. L’affaire est directement portée devant le bureau de jugement, qui se prononce sur la nature de la rupture et les conséquences associées. Il statue au fond dans un délai d’un mois à compter de sa saisine
L’objectif de la loi est uniquement de restreindre – une nouvelle fois – l’accès aux allocations chômage pour les demandeurs d’emploi : le salarié présumé démissionnaire étant, en principe, privé d’allocations chômage contrairement au salarié licencié pour abandon de poste.
La « présomption de démission » est contraire à la notion même de démission. Celle-ci ne se présume pas. Elle doit être claire et non équivoque (Cass. soc., 9-5-07, n°05-42201 ; Cass. soc., 18-5-22, n°20-15113).
L’entrée en vigueur du dispositif était subordonnée à la parution au JO de son décret d’application. C’est malheureusement chose faite : le décret n°2023-275 du 17 avril 2023 est paru au JO du 18.
Les garanties figurant dans le décret sont plus que décevantes.
Le délai minimum devant être respecté par l’employeur dans sa mise en demeure adressée au salarié pour justifier son absence et reprendre son poste est très court (tant dans son quantum que dans son décompte) : 15 jours !
Les modalités de décompte sont défavorables au salarié : tous les jours de la semaine comptent et le délai commence dès la première présentation de la mise en demeure au salarié
, c’est-à-dire peu important sa réception par le salarié.
Ainsi, un salarié dans l’impossibilité de relever son courrier parce qu’il est hospitalisé s’expose à ce que sa démission soit présumée et donc que la rupture de son contrat de travail soit consommée.
En effet, si le conseil de prud’hommes a la possibilité de faire produire à cette présomption de démission les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, il ne peut pas imposer à l’employeur la réintégration du salarié.
Le décret donne des illustrations de motifs légitimes susceptibles d’être communiqués par le salarié pour faire obstacle à une présomption de démission (raisons médicales, l’exercice du droit de retrait ou du droit de grève, refus du salarié d’exécuter une instruction contraire à une réglementation ou de se voir imposer une modification du contrat de travail). Il s’agit ici de la reprise de la décision du Conseil constitutionnel sur le sujet (CC, 15-12-22, n°2022-844).
En raison des très nombreuses questions juridiques que suscite ce nouveau concept, le ministère du travail a apporté des précisions prenant la forme d’un « questions-réponses » publié sur son site internet.
Les précisions apportées sont extrêmement dangereuses.
Conscient du peu d’enthousiasme des employeurs à utiliser ce dispositif en raison de l’insécurité juridique qu’il génère, le ministère a précisé qu’ils ne pourront désormais plus licencier leurs salariés pour une faute grave liée à l’abandon de poste.
Autre absurdité : bien que le salarié soit considéré comme démissionnaire en raison de son absence de l’entreprise, il sera tout de même appelé à exécuter son préavis (si la loi ou la convention collective le prévoit en cas de démission) une fois le délai fixé dans le courrier de mise en demeure expiré. Ainsi, le ministère ne voit pas le caractère ubuesque de la situation d’un salarié présumé démissionnaire qui reviendrait soudainement dans l’entreprise pour exécuter son préavis !
FO constate que cette mesure précipitée, non concertée, adoptée sans évaluer la réalité du phénomène, ouvre la voie à de multiples contentieux juridiques !
Nous estimons que l’abandon de poste suivi d’un licenciement pour faute grave suffisait à satisfaire toutes les parties et qu’il n’était pas nécessaire de légiférer en la matière.
FO est clairement opposée à cette réforme qui restreint encore un peu plus les droits des demandeurs d’emploi et place le salarié dans une situation extrêmement précaire puisqu’il devra accomplir beaucoup de démarches juridiques (saisine du juge, rédaction de conclusions, etc.) tout en étant privé de ressources (absence totale de rémunération et d’allocations chômage) et sans que le droit à réintégration de l’entreprise ne soit opposable à l’employeur.